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L’apport stratégique des Etats-Unis durant la Première Guerre mondiale

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Les soldats américains n’ont pas débarqué pour la première fois en France en 1944, mais en 1917. Au cri de « Lafayette nous voilà », les troupes de Pershing arrivent à Saint-Nazaire le 28 juin. Quel fut véritablement l’apport stratégique des États-Unis durant la Première Guerre mondiale ? Qui des Sammies de 1917 ou du soutien logistique de l’économie américaine a été le plus important dans la victoire de la Triple Entente ?

Le 104e régiment d'infanterie américain décoré par le Général Français Passaga lors de la Première Guerre mondiale.
Régiment américain décoré par le Général Français Passaga.

Une neutralité seulement militaire

Lorsque la guerre éclate en 1914, les États-Unis se gardent de prendre parti. Fidèle à la doctrine Monroe, le pays de l’Oncle Sam se refuse à toute ingérence dans les affaires européennes. Les États-Unis sont de plus composés de nombreuses diasporas originaires des pays belligérants. Ceci pousse les politiques à la prudence afin de préserver la paix sociale.

Pour autant, les États-Unis n’ont pas rompu les liens avec le vieux continent. La conscription a envoyé les paysans français et les ouvriers anglais dans les tranchées. En résulte un effondrement de la production, agricole notamment, parmi les deux principaux pays de la Triple Entente (France, Royaume-Uni, Russie). De plus, l’économie de guerre demande toujours plus de ressources, fournies par les États-Unis. L’excédent commercial américain à destination de l’Europe est alors multiplié par sept entre 1914 et 1918.

Le commerce est cependant rapidement à unique destination de la Triple Entente. En effet, la Royal Navy soumet les Empires Centraux (Allemagne, Autriche-Hongrie) à un implacable embargo. Si les États-Unis sont d’abord hostiles à cette décision contraire au libre-échange, l’explosion de la demande des Alliés de la Triple Entente compense largement cette perte.

En 1916, les États-Unis fournissent la moitié des machines-outils et 90% du pétrole utilisés par l’industrie française, ainsi que la moitié des céréales et l’ensemble du sucre consommés dans l’hexagone. Le Royaume-Uni, quant à lui, dépend à 60% des importations. La livraison de ressources par les États-Unis est donc vitale dans l’effort de guerre allié.

Le tournant de 1917

Après trois ans de conflit, les États-Unis n’ont désormais des intérêts commerciaux et financiers qu’avec les Alliés. Le Reich a de plus décidé de pratiquer la guerre sous-marine à outrance. Ils torpillent ainsi tous les navires, y compris neutres, à destination des ports britanniques et français. Cette stratégie finit de faire basculer l’opinion publique américaine du côté de la Triple Entente, comme le redoutait le Kaiser Guillaume II.

Woodrow Wilson a été réélu à la présidence en 1917 en promettant la paix. Il est cependant convaincu depuis longtemps de la nécessité d’un engagement militaire américain en Europe. Les États-Unis ont déjà beaucoup investi matériellement et financièrement auprès de la Triple Entente, et sa défaite leur coûterait cher. Par ailleurs le président est un partisan de la démocratie, qu’il estime vectrice de paix. Soutenir la France et le Royaume-Uni contre les monarchies allemande, austro-hongroise et ottomane lui semble donc important. Enfin, la Russie tsariste vacille et menace de libérer le front de l’Est, permettant au Reich et à l’Autriche-Hongrie de transférer leurs troupes sur le front de l’Ouest.

L’arrivée des « Sammies »

Les 20 000 hommes de la première division d’infanterie arrivent donc en Europe en juin 1917. Ce corps expéditionnaire est modeste mais représente déjà 10% de l’ensemble de l’armée d’active américaine. De plus, ni le service militaire ni la conscription n’existent au pays de l’Oncle Sam. Il faudra donc compter sur les engagés volontaires, nombreux il est vrai, pour grossir les rangs. Le corps expéditionnaire atteindra ainsi 2 millions d’hommes (dont 1 million de combattants) lors de l’armistice du 11 novembre 1918.

Si les soldats américains, surnommés « Sammies » par les Français, seront unanimement salués pour leur enthousiasme et leur courage, ils ne sont clairement pas prêts pour la guerre des tranchées qui les attend. La doctrine d’emploi des troupes par les officiers, issue de la guerre de Sécession, est celle de la bataille en open field. Similaire à celle des officiers européens en 1914, elle est adaptée à la guerre de mouvement, mais pas à celle de position. En témoignent les effroyables pertes des offensives de Verdun ou de la Somme en 1915 et 1916. Les soldats ne sont donc pas entraînés aux combats des tranchées.

Plus problématique encore, les Sammies ne sont pas bien équipés. Ils ne possèdent aucune artillerie lourde, fondamentale dans ce conflit, ni d’aviation ou de chars d’assauts (qui seront décisifs dans la victoire alliée). Même l’équipement léger, à savoir les fusils individuels, manquent. Les nouvelles recrues s’entrainent donc avec des armes en bois.

L’ensemble du matériel ainsi que la formation à fournir aux Américains incombent donc aux Français et aux Britanniques. Une lourde charge pour des pays fatigués par trois ans de conflit total, pour lesquels chaque homme et chaque balle comptent. Par exemple, lors de la bataille de Saint-Mihiel, le 12 septembre 1918, la première armée américaine reçoit de la France 3 000 pièces d’artillerie, l’ensemble des obus, des camions et des avions utilisés, ainsi que 267 chars et divisions d’infanterie française. Enfin, durant l’ensemble de leurs engagements, les troupes américaines subiront des pertes proportionnellement supérieures à leurs alliés.

Quel dénouement sans l’aide américaine ?

Face à ces éléments, il est légitime de se demander quelle aurait été l’issue de la guerre sans l’aide américaine à la Triple Entente. D’un point de vue agricole et industriel, il ne fait aucun doute que les États-Unis ont été d’une aide primordiale. Ils ont permis aux Alliés de ne pas connaitre les privations qu’ont subies les membres de la Triplice (Allemagne, Autriche-Hongrie, Empire Ottoman).

L’aide en hydrocarbures ainsi qu’en métaux a permis à la Triple Entente de soutenir une économie de guerre efficace. En 1918, la production cumulée de la France et du Royaume-Uni représente ainsi le double de la production allemande. Le soutien alimentaire a quant à lui évité aux Français et Britanniques de subir le rationnement drastique vécu par les Allemands et Austro-Hongrois.

L’intervention militaire en revanche a eu un apport plus que discutable. Comme évoqué précédemment, elle a dans un premier temps coûté en matériel, en temps et en hommes. Les Sammies n’ont donc pas eu de véritable impact quantitatif et qualitatif. Il est même possible de supposer que les Franco-britanniques auraient fini par l’emporter avec leurs seules troupes. Plusieurs éléments permettent de se livrer à cette uchronie.

Un équilibre en faveur de la Triple Entente avant l’arrivée des troupes américaines

Tout d’abord, l’apport qualitatif et quantitatif américain a été faible. Les Français et les Britanniques ont subi moins de pertes en proportion que leurs homologues américains. Ils se sont emparés quasiment seuls de la ligne Hindenburg (sorte de ligne Maginot, dernier rempart allemand). Enfin, l’État-Major américain peine à faire suivre la logistique sur une échelle qui leur était jusque-là inconnue.

De plus, les colonies des deux pays n’ont été que très peu mobilisées (sur 8 410 000 soldats Français, 7% sont des « indigènes »), et constituent donc un formidable réservoir de troupes. Le Royaume-Uni peut même encore compter sur sa population métropolitaine car pour une population supérieure à la France, les troupes Britanniques ne représentent que 60% du total des soldats français.

Face à eux, les empires centraux sont à bout de forces. Subissant de profondes privations, les civils réclament la fin de la guerre. Le retrait de la Russie Bolchévique le 3 mars 1918 (traité de Brest-Litovsk) donne pourtant un bol d’air aux empires. Ils peuvent désormais compter sur le blé ukrainien et le pétrole roumain. Les troupes du front de l’Est sont transférées à l’Ouest.

Les divisions se font jour. Charles 1er, empereur d’Autriche-Hongrie depuis 1916, estime que « si les monarques ne font pas la paix, les peuples la feront par-dessus leurs têtes ». Il cherche donc à négocier une paix séparée avec les Alliés, mais il échoue et le Reich finit par totalement subordonner la double-monarchie à sa volonté.

L’échec allemand du printemps 1918

Les empires jettent donc toutes leurs forces dans un ultime effort. Ce sont les offensives du printemps 1918. La guerre de mouvement reprend. Mais il est trop tard, l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie n’ont plus les ressources et la logistique pour profiter de leurs percées. Ils sont arrêtés puis repoussés.

Ce qui faisait leur force au début de la guerre devient leur faiblesse. Leur avance technologique est devenue un retard du fait du manque de ressources. Ils subissent ainsi de plein fouet la puissance des chars d’assaut français et britanniques. Leur formidable maillage de voies ferrées n’est pas assez modulable pour suivre les mouvements permanents du front, alors que leurs adversaires peuvent compter sur des milliers de camions (quatre fois plus que l’Allemagne). Le ciel est lui aussi désormais totalement dominé par les Alliés. Qui plus est, la cavalerie, qui serait enfin utile, est stationnée dans les immenses plaines de l’Est, pour tenir les terres prises à la Russie.

Enfin, la guerre sur deux fronts n’est pas terminée avec la capitulation russe. Les Italiens, originellement membre neutre de la Triplice, devenus membre de la Triple Entente, menacent les Austro-Hongrois par le sud (victoire de Vittorio le 30 septembre 1918). L’armée d’Orient, composée de troupes de la Triple Entente, est elle aussi en train de percer en Grèce et dans les Balkans. Le tout se passe sans l’intervention des troupes américaines.

L’Allemagne se savait dans une situation d’urgence. Les offensives du printemps 1918 en sont la parfaite illustration. Préparées avec précipitation, la logistique ne suit pas et rend inexploitable les gains territoriaux. Les chefs du Grand État-Major allemand, Hindenburg et Ludendorff, demandent le cessez-le-feu dès le 19 septembre 1918.

De son côté, la Triple Entente pouvait compter sur ses propres ressources humaines, notamment dans les colonies, et sur les ressources énergétiques américaines. Il semble donc inéluctable que le traité de Versailles aurait existé sans les Sammies.

Le soutien américain à la Triple Entente a donc été fondamental en termes de ressources, aussi bien matérielles, énergétiques, qu’alimentaires. En revanche, l’apport militaire, bien que symboliquement fort, est bien plus discutable et anecdotique. Il ne peut être comparé ou reconsidéré à l’aune du second conflit mondial.

Sources :

  • BOURLET, Michaël, « L’armée américaine dans la Grande Guerre, 1917-1919 », Ouest France, 2017
  • GOYA, Michel, « Et si les Etats-Unis étaient restés neutres en 1917 », Guerres et Histoire, HS N°3, Novembre 2017
  • HARTER, Helene, Les Etats-Unis dans la Grande Guerre, Tallandier, 2017
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Charles SIROUX

Travaillant dans la gestion de risque et de crise, il est diplômé d'un M2 en géopolitique et prospective à l'IRIS. Ses thèmes de prédilection sont les enjeux sécuritaires, énergétiques et d'influence, ainsi que les tendances historiques.

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